Je ne vais pas vous faire un grand discours décrivant mes parents, qui ils étaient et ce qu'ils représentaient pour moi... Tout simplement parce que je ne les ai jamais connus. J’ignore quelle est leur identité, quel était leur rang, leur titre, leur condition… Etaient-ils roturiers, nobles ? Riches, pauvres ? Je n’aurai malheureusement jamais la réponse. Je n’avais que quelques jours, peut-être même quelques heures, lorsque je fus déposée devant la porte des orphelins du Saint-Sulpice. Entourée d’une chaude couverture, une poche remplie de pièce à côté de moi, seuls mes cris pouvaient se faire entendre par cette froide soirée d’hiver, dans cette rue où le vent s’engouffrait, frigorifiant quiconque s’y trouvait. Nous étions le 7 décembre 1653, et il fut décrété que cette date marquait le jour de ma venue au monde. Du moins, c’est ce qu’a décidé les sœurs m’ayant recueillie. C’est elle d’ailleurs qui m’ont nommées Charlotte Dambois, un merveilleux nom que je suis fière de portée, car choisi par des femmes que je porterai toujours dans mon cœur pour leur générosité et ce qu’elles ont fait de moi.

Vous l’avez donc sûrement compris, j’ai grandi au sein d’un orphelinat, d’un abri pour des enfants abandonnés ou ayant perdus leurs parents. Je me rends compte de la chance que j’ai eu, car nombre d’enfants n’ont pas cette chance et finisse souvent seuls dans les rues hostiles de la capitale. J’ai grandi auprès d’autres petites filles, certaines plus grandes que moi, d’autres plus petites. Je m’y suis fait des amies, mais également quelques rivalités. Je n’ai jamais eu un caractère fort, mais je n’étais pas pour autant du genre à me faire marcher sur les pieds. Plus jeune, il m’arrivait à me faire remarquer, à refuser l’autorité. Mais en grandissant, je me suis assagit, apprenant le respect et à bien me tenir.
J’ai reçu une éducation m’ayant permis d’apprendre à lire, écrire et compter, en plus de recevoir un enseignement catholique. Nous ne vivions pas dans le luxe et les temps étaient parfois difficile, mais cette vie me plaisait : simple, mais bien entourée. Au moins je n’étais pas dehors, livrée à moi-même et obligée de voler pour tenter de survivre.

Les années passaient et je devenais de plus en plus un poids pour l’orphelinat. Les ressources autant financières que de denrées se faisais rares, et il était plus important de nourrir les plus petites que des grandes filles comme moi. A 16 ans, j’étais désormais en âge de travailler, de me faire de l’argent et de commencer une nouvelle vie hors de l’orphelinat. Je ne savais pas vraiment ce que je désirais faire de ma vie : paysanne, blanchisseuse, marchande… Ce fut une sœur qui m’aida à trouver mon premier emploi auprès de sa sœur, la veuve Aubépine de Cuigy, en tant que domestique.
J’étais jeune, peut-être un peu naïve également, mais ce nouvel univers me fit rêver. La demeure des De Cuigy était bien loin du modeste orphelinat de lequel je grandis : toute était richement décoré, à la fois raffiné et éblouissant. Les premiers jours, mon regard ne pouvait s’empêcher d’être émerveillé par de si beau décors. Je n’avais cependant pas le temps d’en profiter, car je n’étais pas là pour me divertir, mais bien pour travailler. Cela ne me dérangeait pas, car j’avais grandi dans l’idée qu’un travail acharné était nécessaire pour bien vivre. Je ne gagnais pas une fortune, mais cela me suffisait amplement, d’autant plus que mes mains maladroites légendaires en faisaient pas de moi la meilleure servante.

Une des filles De Cuigy n’avait que trois ans de plus que moi. Bien que nous ne fussions pas du même rang et que mon rôle n’était autre que de la servir, nous nous sommes rapprochées et sommes presque devenues confidente. Bien sûr, là n’était pas ma place et je faisais tout pour mon montrer discrète face à cette relation : nul doute que la maîtresse des lieux n’apprécierait pas. Toutefois, dès que je m’occupais d’elle, nous échangions de nombreux secrets, se terminant rapidement par des rigolades. Je fus particulièrement triste lorsque que mon amie dû quitter la demeure familiale pour celle de son fiancé et époux. La maison me paraissait soudainement beaucoup plus vide, mais j’appréciais toujours autant ce que je faisais, d’autant plus que les animations ne manquaient jamais.

J’appréciais -et apprécie toujours- les membres de la famille que je servais et un respect mutuel s’était installé entre nous. J’avais trouvé une seconde famille et je ne désirais être nulle part ailleurs, tant que cela m’était possible. L’une des raisons pour lesquelles j’étais attachait à eux fut sans doute l’aîné de la famille, Thomas de Cuigy. Je ne saurais encore aujourd’hui pourquoi le noble m’a un jour tapé dans l’œil. Sans doute son attitude, ses paroles, ou tout simplement son physique… Ou tout simplement ma jeunesse. Dans tous les cas, je ne pouvais m’empêcher de devenir un peu plus maladroite à chaque fois que je le rencontrais, balbutiant à chacune de mes prises de paroles, comme une enfant que ne sait pas maîtriser sentiments… Mais sentiment serait un bien grand mot, car comment aurais-je pu tomber amoureuse d’un homme que je ne connaissais à peine, qui plus est d’un rang bien supérieur au miens ? Je n’étais pas idiote au point de croire que quelque chose pouvait se passer entre nous et je savais que je le laissais parfaitement indifférents, bien qu’il soit fort aimable avec moi. Peut-être avais-je inconsciemment simplement besoin de l’intention d’un homme, dans un âge où il était peut-être temps pour moi de me marier.

Cela faisait cinq ans que je travaillais pour la famille De Cuigy quant une nouvelle domestique nommée Anna fut embauchée. Ayant pratiquement le même âge et travaillant ensemble chaque jour, une amitié vit le jour entre nous. Toutefois, il suffit que Thomas montre son intérêt envers la jeune domestique pour que cette amitié soit brisée ne morceau. La cause ? Ma jalousie. Je fus jalouse que cet homme que j’apprécie au-delà du raisonnable s’intéresse à elle, la séduise, alors que cela n’avait jamais été le cas avec moi. J’étais jalouse qu’il la trouve belle, séduisante, intéressant, et pas moi. Sur le coup, je fus rongé par le chagrin, me sentant inférieure. Toute confiance en moi avait disparu et je ne regardais plus le noble de la même façon. D’un côté, je ne pouvais pas lui en vouloir, elle m’avait ouvert les yeux sur certaines choses… Mais ma fierté en pris un coup. Anna quitta la demeure peu après cet événement et je n’ai plus jamais entendue parler d’elle.

Malgré ces événements, je continue aujourd’hui à servir la même famille depuis toutes ces années. Mais aujourd’hui, bien des choses ont changés. Servant avant tout Aubépine, je suis la veuve dans chacun de ses déplacements, jusqu’à Versailles et son magnifique palais. Je côtoie les nobles, les riches, les grands de ce monde, sans pouvoir les égaler, mais dans l'espoir d'avoir une vie bien plus palpitante.