"- Il faut baptiser ce garçon au plus vite."Avait dit l'Abbé d'Argence, grand ami de la famille de Rugès venu assister à la naissance de leur premier fils. Un cadeau que Dieu semblait vouloir leur reprendre. Malgré les efforts de ses nourrices, le nourrisson bougeait à peine et les rares gémissements qui émanaient de sa gorge ne rassurait en rien les sages-femmes. Même le contact du sein nourricier ne parvenait à le sortir de sa léthargie. Il planait sur le domaine une ambiance funeste en cette soirée de décembre 1647. Tous pensaient que l'enfant ne verrait pas l'aube se lever.
Pourtant, envers et contre tout, Jules survécu. oOo
"- Veux tu bien cesser tes pleurnicheries ?! Agis comme un homme pour une fois !""- Je vous en prie André, ce n'est qu'un enfant !""- Silence femme !" Un poing s'écrasa en grand fracas sur une table. Un cris apeuré lui succèda.
"- Ce sont vos gâteries incessantes qui ont fait de notre fils un faible !" Un garçons aux joues trempées de larmes cache sa tête au creux de l'étreinte maternelle à laquelle il fut brutalement arraché. Autre cris, le sien cette fois. Il se protégea le visage de ses petites mains fragiles. D'autres mains, puissantes et cruelle, le saisissent. Madame de Rugès s'effondra en pleures dans les bras d'une servante aussi fébrile qu'elle.
"Je suis désolé !"Tout ce qu'il obtient, c'est la flamme d'un regard mêlant agacement, colère et déception. Jules tremblait de tout son corps, en proie à une panique incontrôlable.
"Je suis désolé, je suis désolé...de...je suis dé...!"Sa joue le brûle. Emporté par cet éclat de violence soudain, il manqua de s'écrouler au sol. Hébété, son regard humide fixait la silhouette d'un homme qui ne cesserait jamais de le terrifier.
"- Tes excuses m'indifférent. Il est temps que tu te comporte enfin en homme, Jules, et que tu cesse d'être aussi faible. Ai je donc engendré d'un faible ?"Les raisons de la colère ? Jules les a oublié. Il se souvient que son père ne l'appelait par son deuxième prénom uniquement lorsqu'il était en colère. Comme pour lui montrer qu'il ne mériter pas de le porter. Qu'avait il fait pour mériter cette gifle ? Le temps avait emporté les mots et les souvenirs depuis. Pourtant il se souvenait avec une terrible exactitude de l'expression qui se lisait sur les traits de son père.
"- Alors Jules ? Es tu un faible ?! Réponds !" Le souffle lui manqua. Les mots ne parvenaient à franchir la barrière de ses lèvres. Ses sanglots lui faisaient mal.
"- REPONDS!!!" Le mépris. Voilà ce dont il se souvient.
Ce glaçant mépris qui ne quitta jamais sa peau, sa chair et son coeur.
oOo
La douce et pieuse Madame de Rugès aimait puissamment son unique fils. Peut-être était ce dû à sa naissance difficile, mais elle peinait à être loin de lui et s'inquiétait constamment de sa santé. Cela arrangeait bien Jules, qui passait son temps dans les jupes de la comtesse. Malgré la sévérité et la colère de son époux, Madame ne parvenait à changer son attitude. Maintenant qu'elle était enceinte de leur deuxième enfant, celui-ci avait mit de l'eau dans son vin et traitait sa famille avec plus de magnanimité. La première grossesse de sa femme avait failli connaître une issu tragique et malgré son comportement colérique, impérieux, voir tyrannique, Monsieur aimait sincèrement la femme qui avait dévoué sa vie à la sienne. A sa façon.
"- Et c'est ainsi que Samson retrouva sa force par la grâce de Dieu et fit s'écrouler les murs du temple sur les perfides Philistins..."Le petit blond buvait les paroles de sa mère en la couvant d'un regard fasciné. Ecouter sa mère lui parler de la Bible était beaucoup plus passionnant que les éternels sermons de l'Abbé.
"...Et ensuite ?""- Ensuite....."Soudain, une ombre passa sur son visage.
"- ...Ensuite....." Une grimace de douleur. Il ne s'en rend pas tout de suite compte, mais sa mère agrippe son ventre arrondie.
"- Jules....Jules !"Un sursaut le tira de sa rêverie mettant en scène des héros saints et de perfides femmes du désert.
C'est alors qu'il vit le sang.
La mort vint s'inviter chez les Rugès.
Le coeur de l'enfant ne battait plus lorsque les sages-femmes parvinrent à libérer Madame de ses souffrances. Celle-ci mourût dans la nuit.
oOo
Sa chevelure blonde évanescente éparpillée autours de son visage pâle comme nacre, tel une auréole d'ange. Figée dans une expression de calme éternel. Une Vierge macabre. Jules est terrifié. Le sol se meut sous lui, il sombre dans un abîme de sentiments qu'il n'arrive à comprendre. L'Abbé pose sur son épaule une main qui se veut chaleureuse, mais tout semble lointain. Les dernières onctions lui parviennent au travers d'une obscure fumée. C'est donc cela mourir. oOo
Son père trouva une nouvelle épouse. Jules n'arriva jamais à l'apprécier.
Son père eut d'autres enfants. Des filles.
Les années passèrent. Mais rien ne changea. Jules serait toujours le fils mal aimé. Trop fragile, trop délicat, trop solitaire, trop rêveur, trop sensible...trop...trop...
féminin.Quel dommage que le comte de Rugès n'eut qu'un enfant de sa trempe, se murmurait-il. Son fils avait les qualité d'une femme. Comment pourrait il un jour prendre la suite de sa famille, militaire depuis des générations ?
oOo
"- Mon enfant, quels cruels dilemmes torturent ton âme pour que tu viennes me trouver en cette heure tardive ?
"- Mon père... Une larme brille à la lumière d'un âtre mourant. "-Mon père, pardonnez moi... oOo
Au collège, le statut social et l'excellente réputation de la famille de Rugès furent bénéfique à son épanouissement. Loin de ses affreux cousins, de sa belle-mère insipide et de son père tyrannique, il pouvait enfin voler de ses propres ailes. Il rencontra des gens de son rang, avec qui il noua de solides amitiés. Ses professeurs appréciaient son esprit critique, mais respectueux des traditions. On lui prédisait un grand avenir. Il n'y avait que les lettres de son père qui lui rappelaient que ce ne serait jamais
assez pour lui. Si au bout d'un moment, il se résigna à ne même plus les ouvrir, il entretenait une correspondance régulière avec l'Abbé d'Argance à qui il se confiant. Depuis des années, il avait endossé le rôle de protecteur, de professeur et de confident. Il connaissait ses faiblesses et l'aidait à rester sur le chemin du Seigneur. Rien n'était plus important pour Jules que d'être un bon chrétien.
Il y avait une ombre à ce tableau idyllique.
Ce garçon.Cheveux noirs d'ébène, yeux orageux. Sourire en coin plein de malice qui ne cessait de le torturer. Ô combien Jules aurait voulu embrasser ses lèvres délicates, caresser cette peau d'albâtre jusqu'à se fondre en elle. L'impie désir que ce jeune homme avait éveillé en lui hantait ses nuits, le tourmentant tel le démon murmurant à l'oreille du Christ au coeur du désert.
Laisse moi en paix, démon !Chacune de ses pensées lui étaient destinées. Le royaume de ses rêves, des plus tendres aux plus inavouables, était sien. Son coeur ne savait plus comment battre en sa présence. Venus tout entière à sa proie attachée.
Seigneur...pourquoi...pourquoi m'infliger ça ?Ce jeune homme, il essaya de le rejeter. De le détester, de le haïr. Pour tenir éloigner ses odieux désirs, il se mit à le traiter avec condescendance et mépris.
C'est de ta faute. C'est de ta faute. C'est de ta faute. C'est de ta faute. C'est ta faute. Je ne suis pas comme ça. C'est ta faute.Comme il lui en voulait, d'être aussi beau et attirant. Aussi tentant que le fruit interdit, véritable serpent de ses plus sombres envies. Si seulement il pouvait disparaître ! Et emporter avec lui ses tourments...Insultes à peine dévoilées, provocations, outrages...Jules ne lui épargnait rien.
C'est ta faute. Ta faute. Ta faute. TA FAUTE.Chaque soir, avant de rejoindre sa couche, il implorait celui qui est aux cieux de le délivrer du mal qui le rongeait. Aucune de ses supplications ne trouva d'écho par delà les portes du Paradis. Jules était seul avec son secret honteux. Cette infamie, il ne l'avait confié qu'à une personne de confiance : L'Abbé d'Argance, qui, s'il n'approuvait aucunement cette situation, n'en fut guère étonné. Il lui conseilla la prière, la ferveur religieuse et la pénitence. Et surtout...jamais, au grand jamais, céder à l'appel de la chair. Alors seulement, il pourrait tenir éloigner les flammes de la perdition.
oOo
A sa sortie du collège, Jules annonça à sa famille son désir d'embrasser une carrière ecclésiastique.
(EN COURS)