In nomine Patris et Filii Spiritus Sancti
Jour béni qu’est le dimanche offrant un fils. Lorsque le son des cloches se mêle aux cris d’un nouveau-né, et que ce nouveau-né s’avère être un garçon, que cet enfant soit fils de Roi ou moins que rien, il trouvera toujours un moyen de ravir les coeurs ou les honneurs, d’une manière ou d’une autre.
Ce nouveau fils, les Lestrange auraient très bien pu s’en passer. Si l’on y réfléchit bien, ils auraient même dû. Ayant déjà de nombreux enfants et certainement de quoi assurer la succession et l’avenir prospère de la vaste et prestigieuse famille, Philippe de Lestrange et Margaux d’Esternay ont pourtant, le matin du dimanche 11 août 1641, donné naissance à un troisième garçon, baptisé dans la foulée sous les prénoms Énée et Auguste.
Bien entendu, ce n’est pas une naissance dont on allait se désoler, à part peut-être le principal intéressé lui-même. Cet énième héritier à qui l’on ne promettait déjà ni terres emplies de richesses, ni gloire à acquérir sur les champs de bataille, eh bien, ce garçon s’était vu promettre un avenir noble de renommée et respectable de position. Somme toute, selon l’ordre des choses, Énée était celui à qui Dieu allait ouvrir les bras dès le berceau afin de le guider sur le pieux chemin de la religion.
Et ainsi soit-il, puisque la volonté des traditions est aussi sacrée que celle du Seigneur : Ulysse aurait les terres et leurs noms , Achille l’épée et son blason, et Énée, la foi et la croix ; honorable en théorie, ridicule en pratique.
Ce troisième garçon fut un enfant difficile, peu propice à l’éducation latine auquel on avait tenté de l’exposer très tôt. Tous ces Pater noster qui ne s’apprenaient pas, les Hosannah et les Hallelujahs que l’on écorchait sur de pittoyables airs d’Ave Marias, tout cela causa bien plus de blasphèmes que de bénédictions. Le jour de l’an, la Fête-Dieu, Pâques et toutes les communions furent reniés à maintes reprises par l’impudent garnement qui préférait se la jouer complice avec son petit frère, né un an après lui, plutôt que de remplir sa part d’adorations et de prières.
Afin de remettre ce diable sur le droit chemin, on envoya le jeune Énée parfaire son instruction dans une école jésuite, là où des prêtres intransigeants prendraient la place de précepteurs laxistes et où des bibles rigoureusement imprimées tueront les pamphlets légers que deux enfants griffonnaient en mauvais Français.
Que ne fit-on pas pour le remettre sur la voie de la rédemption ? Bien entendu, tout fut arrangé pour qu’Énée de Lestrange soit un élève modèle -un expert en droit divin et orateur distingué pour toutes sortes de textes sacrés. Nature distinguée, humble tempérament, fidèle serviteur et partisan dévoué de la foi chrétienne ; tels étaient les qualificatifs dont on usa pour le décrire. Le changement fut si radical qu’il ne restait rien, plus la moindre trace du garçon insolent entré à l’école chez le jeune homme sorti du séminaire. Énée de Lestrange avait endossé ce rôle qui était le sien, s’ouvrant à de bien nombreux choix d’avenir, tous tournant autour de la seule idée qui importe réellement ; le pardon divin et la parole du christ.
Dies irae, dies illa
En quoi la version officielle se distingue-t-elle de la version officieuse ? C’est qu’il ne faut pas douter de la parole d’un homme d’église. Si le recteur du collège a garanti les accomplissements du fils Lestrange, c’est qu’il en fut ainsi, et que Dieu en fut témoin.
Mais il peut arriver à n’importe quel témoin d’avoir des trous de mémoire et Dieu, s’il a fait l’homme à son image, n’est pas à l’abris de quelque fausse idée. Il a sans doute omis, pour le bien commun, de préciser quelques futiles détails et autres spéculations saugrenues.
Si tout porte à croire que la basses des vices humains n’atteindra jamais la belle âme d’un homme saint, Énée de Lestrange est aussi blanc qu’une brebis se roulant dans la boue. Ainsi, seuls les quatre murs du monastère s’avéreront être les véritables témoins de son étude des poisons, ses recherches acharnées aux airs conspirationnistes, ainsi que de son étrange et étroite liaison à un certain Martial de Costemore, son camarade de foi et frère d’intérêts communs.
Flectere si nequeo superos acheronta movebo