I. La Leçon d'Histoire. Joseph Charles d’Ornano et son fils étaient loin, bien loin de l’effervescence de la cour du Roi de France, ils n’entendaient que les crépitements de leur feu de camp et quelques bruits nocturnes sans doute causés par le vent où quelques petits animaux situés non loin du campement. Mais plutôt que de s’inquiéter de cela, le noble passa une main dans sa barbe brune tout en regardant un Sampiero alors âgé de dix ans.
« Tu sais mon fils, souvent les prédateurs ne sont pas ceux qui paraissent le plus menaçants, les plus terrifiants... » D’abord l’enfant ne comprit pas immédiatement le sens de la phrase de son père, qui de prime abord semblait plutôt hors-contexte, mais après quelques secondes, le vieil homme soupira longuement avant de se redresser – ce qui fit craquer son dos – et de prendre un air sérieux, air que son gamin ne connaissait que trop bien. C’était celui qu’il prenait avant de commencer ces longues et interminables leçons de morales, d’ordinaire le sale gosse faisait tout pour éviter ces sermons, mais cette fois-ci, il était perdu au beau milieu de la France et n’allait pas pouvoir y échapper.
«
Tu sais ton grand-père était un homme brillant ! Il consacra la majeure partie de sa vie à servir la Couronne de France et permis à notre famille de gagner ses lettres de noblesses. »
Le regretté Alphonse d’Ornano avait en effet passé sa vie à défendre le Roi Henri III et cela lui avait valu d’être nommé Maréchal de France et d’obtenir le titre de Chevalier de l’Ordre du Saint Esprit. Une récompense exceptionnelle, qui n’était réserver qu’à une minorité d’hommes d’exceptions, des hommes qui avaient su trouver grâce aux yeux du monarque suprême. Mais après avoir avalé quelques gorgées de vin, Joseph Charles d’Ornano se racla la gorge et continua son discours :
«
Mon frère Jean-Baptiste fit la même chose avec le Roi Louis XIII, il lui était entièrement dévoué, mais cette dévotion et l’amour que lui portait le Roi, attira l’attention des vautours de la cour qui se dépêchèrent de l’éliminer avant qu’il ne prenne trop d’importance. C’est de ça dont je te parlais, la Cour du Roi est remplie de prédateurs, qui n’hésiteront pas à te poignarder dans le dos si tu t’approches trop de leur souverain bien aimé… »
Cette fois-ci la morale du vieux Joseph Charles intéressait l’enfant turbulant qui ne prononça pas un mot et se contenta de l’écouter et de le regarder avec attention. On lui avait longtemps dit que son oncle Jean-Baptiste était mort d’une pneumonie mal soignée, c’était la première fois qu’on lui disait la vérité, le pauvre bougre avait été éliminé par Richelieu, jaloux de sa proximité avec le Roi et de sa popularité grandissante. C’est alors que Sampiero comprit que la noblesse était un privilège, mais également un cadeau empoisonné, lui qui avait été éduqué par un père modeste et simple, semblait être à des années lumières de tous les rapaces qu’il allait devoir affronter ces prochaines années.
II. Le Sauvetage d'Arras. Les vieilles cloches de l’église d’Arras venaient de sonner trois fois pour annoncer midi, lorsque l’armée du jeune Roi Louis XIV entra dans la ville normande. Là-bas, Sampiero n’entendit aucun « Angelus Domini », seulement le bruit des canons ennemis qui tonnaient à quelques mètres lui, alors âgé de vingt-deux ans, il avait été séparé du reste de sa compagnie et était désormais face à une dizaine d’espagnols bien décidés à lui ôter la vie. A cet instant précis, le bruit des battements de son cœur éclipsa celui des détonations, il se sentit comme ces sangliers, ces cerfs majestueux qui après avoir été traqués pendant des heures se retrouvent acculés et n’ont d’autres choix que de foncer désespérément sur leurs chasseurs afin de rester en vie quelques minutes de plus.
Alors, le combattant leva sa rapière vers le ciel et hurla «
POUR LE ROI ! » avant de foncer sur ses bourreaux, machinalement, il planta la lame de son épée dans ventre du premier assaillant, puis utilisa le corps de celui-ci comme un bouclier pour se protéger et foncer en direction des envahisseurs, une fois à bonne distance, il sortit son poignard et trancha la gorge du second assaillant et alors qu’une giclée de sang lui arrosa le visage, une balle vint se loger dans son épaule, sonné, il tituba et tomba à genoux, son histoire aurait pu s’arrêter là, mais il refusa une nouvelle fois d’abdiquer.
Fier comme un lion, le jeune homme au visage recouvert de sang, lâcha un râle semblable à celui d’un animal blessé avant de se lever et d’attraper l’épée d’un cadavre et de foncer sur un troisième espagnol, les combattants échangèrent quelques coups et le soldat de Louis XIV finit par enfoncer son arme profondément dans le thorax du malheureux qui s’effondra en toussant et en hurlant de douleur. Le calvaire du dernier héritier de la famille d’Ornano aurait pu se terminer là, mais un boulet de canon vint exploser à quelques mètres de lui, le choc l’envoya à terre tandis qu’un filet de sang commença à couler le long de son oreille gauche. Un étranger en profita pour lui sauter dessus afin – sans doute – de l’égorger. Sampiero réagit alors à la manière d’une bête affamée, il repoussa le poignard du barbare et le mordit à la gorge tout en tâtant le sol qui l’entourait, après quelques secondes, il s’empara d’une grosse pierre et l’explosa sur le crâne de l’inconnu.
Alors qu’il était en train de se relever maladroitement en s’aidant du mur, un énième soldat lui fonça dessus, grâce à dieu, le sabre de ce dernier s’enfonça dans l’épais manteau en cuir du méditerranéen qui attrapa bloqua le bras du malchanceux avant de lui briser le crâne avec la pierre qu’il n’avait toujours pas lâcher ! A cet instant précis de nouveaux combattants arrivèrent et Sampiero ne put s’empêcher de lâcher un «
Sainte Mère de Dieu ! » avant de réaliser qu’il s’agissait d’alliés et de s’effondrer au sol en souriant.
Ce jour-là Sampiero tutoya la mort et gagna ses premiers gallons ainsi qu’un surnom qui le suit encore aujourd’hui : « Le Diable d’Arras ». Mais au-delà de ce sobriquet et de nombreuses cicatrices, cette bataille le dégouta quelque peu de la guerre et poussa le jeune homme à vivre pleinement chaque instant de sa vie pour ne rien regretter une fois le jugement dernier venu.
III. Les Guerres de Louis XIV. « C'est le Prince d'Orange, tôt matin s'est levé
Est allé voir son page, va seller mon coursier.
Que maudit soit la guerre, va seller mon coursier.
Est allé voir son page, va seller mon coursier.
Mon beau Prince d'Orange, où voulez-vous aller ?
Que maudit soit la guerre, où voulez-vous aller ?
Mon beau Prince d'Orange, où voulez-vous aller ?
Je veux aller en Flandre, où le Roi m'a mandé.
Que maudit soit la guerre, où le Roi m'a mandé. »
Les soldats des Bandes Corses s’étaient mis à chanter ceci en quittant Paris, le jeune Roi Louis XIV fort de ses premières victoires semblait décider à redonner au Royaume de France sa gloire d’antan et les mercenaires de l’île de beautés connus pour leur courage et leur robustesse étaient généralement au premier rang. Sampiero alors devenu Colonel Général des Corses avait gagné une réputation de fin stratège et de combattant invincible et pourtant il détestait toujours autant la guerre ! Chaque bataille, chaque escarmouche étaient pour lui une tragédie, un moment terrible ou il perdait des dizaines et des dizaines de ses compagnons et où il était obligé d’écrire des lettres hypocrites aux familles des défunts. Les généraux n’étaient pas obligés de faire cela, mais lui avait grandis en même temps que ces hommes, il connaissait le nom de chacun de ses soldats et déplorait la perte du moindre d’entre eux. On avait beau lui répéter que cette guerre ne durerait pas, qu’elle allait permettre à la France de retrouver son hégémonie, mais quelque chose lui disait que son souverain était en train de s’engouffrer dans un processus qui n’allait pas s’arrêter de ci-tôt !
En quittant Paris ils passèrent devant Arras, une ville en partie en ruine qui ne ressemblait plus à grand-chose, mais qui faisait de nouveau partie de ce beau Royaume de France, alors il ne put s’empêcher de ce jour où Dieu l’avait sauvé et lui avait donné la force de quitter cette cité, blessé, mais vivant… Depuis de nombreuses cicatrices s’étaient rajoutés à celles qu’il avait subi lors de cette terrible bataille ! Il avait l’étrange sensation de n’être qu’une arme, une arme de guerre, que l’on sort de son fourreau uniquement pour occire l’ennemi. Au fond il lui arrivait d’envier le badaud, le petit voyou, le mendiant, qui bien que n’ayant pas la chance de pouvoir manger à sa faim, pouvait se targuer, se vanter de n’avoir ni Dieu, ni Maître… Pouvait se contenter de profiter de la vie et des petits bonheurs de celle-ci !
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