Avec une famille aussi illustre que celle de Marie-Julie de Sainte-Maure, il allait de soi qu'elle se devait être une dame d'exception. Son père était nul autre que Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier, Maréchal de camp des armées du Roi et gouverneur du Dauphin, qui, des années durant, avant assidûment courtisé Julie d'Angennes, suivant à la lettre les consignes de la carte de Tendre auquel sa mie avait participé à la création, lui avait même dédié son oeuvre la plus célèbre, la Guirlande de Julie, pour lequel il avait collaboré avec les grands de cette ère.

Au sein du mouvement précieux, Julie d'Angennes et sa mère étaient connues sous les noms de Princesse Julée et d'Arthénice, respectivement: le vrai nom d'Arthénice n'était nul autre que Catherine de Rambouillet, qui, en raison d'une santé précaire, ne pouvait présenter ni sa beauté ni son esprit renommé à la Cour. Loin de déclarer défaite, la marquise de Rambouillet avait fait de son hôtel le centre intellectuel de Paris, tenant salon même au plus fort de la Fronde. Princesse Julée avait, bien sûr, fait honneur à son illustre mère de par sa beauté, son intelligence et sa pieuse vertu, ce qui lui avait valu, à la Cour, la position de gouvernante des Enfants de France.

Pour Marie-Julie de Sainte-Maure, née en 1646 après quatorze ans d'une cour assidue et un an de mariage, tout manquement serait, aux yeux de sa famille et de Paris, impardonnable. Heureusement, la petite fille, dès son plus jeune âge, s'était pliée avec complaisance aux exigences de l'éducation qui lui avait été imposée par ses parents et sa grand-mère. L'enfant, qualifiée d'"extraordinaire" par Tallemant de Réaux, avait lu tout l'Ancien et le Nouveau Testament à l'âge de dix ans, parlait couramment l'italien et l'espagnol, et connaissait toute la poésie, les pièces de théâtre et les romans à la mode jusqu'au bout des doigts. Cela avait été suffisant pour impressionner même la régente Anne d'Autriche, et en 1660, l'année du mariage de Louis XIV avec l'infante d'Espagne, Marie-Thérèse d'Autriche, Julie, que le cercle de sa mère surnommait déjà Célinte, avait fait son entrée à la Cour.

On lui fit épouser, en 1664, Emmanuel II de Crussol, duc d'Uzès. Les deux jeunes gens, à vrai dire, se connaissaient à peine, et d'autant plus que le nouveau marié fut, la plupart du temps, absent du foyer familial au service du Roi, dans ses armées. Julie s'accoutuma à ne le voir qu'une ou deux fois l'an, juste assez pour lui offrir trois enfants, deux filles, Julie-Françoise et Louise-Catherine, et un garçon, Jean-Charles.

La jeune épouse et mère, cependant, avait peu le loisir de s'ennuyer: Catherine de Vivonne rendit l'âme en 1665: Julie d'Angennes, hélas, ne pouvait reprendre les rênes de l'Hôtel de Rambouillet, comme on lui avait offert le poste de Gouvernante des Enfants de France. La charge était donc tombée entre les mains de Julie et, même si la mode des précieuses était de plus en plus passée, des salons de renommée où l'on parlait littérature, politique et théâtre, eux, ne l'étaient pas.

Il ne fut aucunement difficile pour Célinte de garder l'excellente réputation de l'Hôtel de Rambouillet, recevant des visites non seulement de Madame de Montespan elle-même, mais aussi d'hommes et de femmes de qualité, de différentes affiliations politiques, ce qui n'était pas pour déplaire à la jeune femme. Dotée d'une mémoire extraordinaire et travaillant sans relâche à ses mémoires, elle se prit au jeu de tout consigner et de découvrir les secrets de tout le monde, quitte à peu à peu se bâtir une réputation d'informatrice, tout en refusant de prendre parti pour qui que ce soit et proposant ses services au plus offrant - sans se compromettre bassement, bien sûr.

Emmanuel de Crussol rendit l'âme en 1674, au service du Roi, laissant Julie veuve, et avec encore plus de liberté qu'elle n'en avait jamais joui auparavant. Son intelligence et sa verve redoutées autant qu'admirées dans la capitale, aucun parti se présentant n'a su trouver grâce à ses yeux - peut-être parce qu'elle en savait un peu trop sur leurs comptes - et surtout, sur leurs maîtresses. Mais pour Julie dite Célinte, le mariage était le moindre de ses soucis: entre le salon, l'information à revendre et l'éducation de ses enfants, sa journée était bien remplie.

Ne restait plus qu'à espérer que cette Affaire des Poisons, qui bouillonnait dans tout Paris, ne viendrait aucunement l'éclabousser, comme elle était l'une de celles qui pourraient en savoir trop...