« Avez vous vu le triste personnage que voilà ? Pour tout vous dire de lui, si il mettait autant de volonté à sourire qu'il en met à être du plus mortel ennuie, il seait sans nul doute le parti le plus couru de la capitale. Me trouvez-vous cruelle de parler ainsi de cet homme ? Voyez donc par vous-même :

Il est né en province, loin de l'agitation de la cour, et c'est là-bas que ce petit nobliaux insignifiant a grandi, se roulant dans la boue et battant le blé parmi la crapule campagnarde. Enfant colérique, c'est peut-être là son seul attrait, il prônait déjà alors le respect, la justice et l'égalité avec la même ardeur qu'un prêtre devant ses oilles. Jugez donc. C'est après la mort de son père qu'il décide de gagner Paris, convaincu que depuis cette place forte, il pourra changer le monde. Pauvre et naïve petite chose qui passa les portes de la capitale dans ses habits crottés. Je n'ose imaginer combien la chute de ses illusions fut longue et douloureuse alors qu'il trouvait un poste dans la maréchaussées. Cela étant dit, il n'y resta pas bien longtemps, quel pot-de-vin eu raison de sa détermination d'après vous ? Si vous voulais mon avis, il y a fort à parier que ce soit celui du chef de ses infâmes brigands contaminant nos rues à son supérieur. Mais ce n'est là que spéculation de ma part sans doute.

Quittant la maréchaussée avec autant de panache et de hargne que peut en avoir un petit être aussi fade que l'est Roland de Guéret, il trouva un nouveau poste au Châtelet, autrement dit de l'autre côté du pont, c'est que ce freluquet sans manière manque aussi d'originalité, j'avais omis de le préciser.

C'est durant cette période qu'il rencontra Marguerite du Guy. Une jeune fille encore plus insipide que lui et qui ne restera pas vivante bien longtemps parce que moins d'un ans après les noces de ce couple, qui avait pour seul qualité le fait d'être bien assorti, la malheureuse sotte mourut en couche, laissant un mari éploré - comme si il y avait matière à pleurer si maigre perte - et un bébé suffisamment intelligent pour ne pas la regretter. On raconte toutefois que depuis ce jour, Roland de Guéret n'a jamais plus touché une femme, voilà qui explique sans doute ses larmes d'alors et surtout son humeur - nous devrions peut-être penser à nous cotiser pour lui offrir une plaisante soirée en compagnie de charmantes filles de joie ?

Remarqué pour son intégrité à son poste, il monte lentement les échelons. Il aurait sans doute pu gagner du temps en déboursant un peu de son argent mais sans doute un enfant lui était-il difficile à administrer, cela est si peu conventionnel. Il finit toutefois par devenir commissaire du Châtelet. Un de plus bien que je sois contrainte d'admettre qu'il résolue plus d'affaires qu'il n'y en avaient eu de closes en dix ans avant lui. C'est sans aucun doute pour cela que Gabriel de La Reynie quand il fut nommé lieutenant-général de la nouvelle police de Paris le remarqua : insignifiant personnage à la mine plus lugubre qu'une nuit d'hiver mais à l'efficacité redoutable.

Il participa ainsi à la chute de la cour des miracles, rétablissant un peu de justice à Paris. Mais depuis, malgré quelques affaires bénignes, sa plus grande préoccupation n'est autre que son fils. Le garçon, loin d'être aussi taciturne que ses géniteurs aiment la fête, la boisson et les femmes. Bien trop au goût de son père alors qu'il s'attire bien des ennuies à force de débauches...

- Vous êtes cruelle Augustine de dresser un portrait si peu flatteur d'un homme auquel Paris doit tant. »